Quand le corps fait partie du monde qui l’entoure.
Hier.
L’après-midi range ses couleurs aux allures printanières, la soirée pare les rues de ses noirs atours.
Je marche.
Le corps en mouvement.
Balade quotidienne.
Précieux rituel auquel rarement je déroge.
Le bois, le parc, très souvent, m’offrent leurs repères familiers, font office de repaire aux propriétés doucement bienfaisantes. Calmantes, qui recentrent, comme l’écorce des arbres sur laquelle je pose ma main. Et leur cime, dont la hauteur impressionne et fascine. Et leurs racines. Elles me rassurent.
Immuables. Elles ne bougent pas. Je peux leur faire confiance.
Le vert – même en hiver, il me semble qu’il y a du vert – des feuilles me communique la vie, la sève me remplit, le vert des feuilles me purifie le corps et l’esprit. Hydratantes. Boire à pleines gorgées.
J’ai besoin par moments que la ville m’aspire, lorsque je sens l’envie de humer la frénésie de ses journées – de ses nuits, moins souvent.
Lorsque s’invite en moi l’attrait d’être happée par le mouvement. J’aime par moments que ce flux d’énergie m’emporte dans son sillage, me transmette ses délicieuses vibrations.
Vivante.
Quand le corps fait partie du monde qui l’entoure.
Digression. Les mots sortent avec peine. Je me relis, je me juge. C’est mauvais. Peu importe. Je continue. Je sais que je vais relire et qu’une tournure ou l’autre, je changerai, un terme ou l’autre, j’ajouterai, j’enlèverai, je remettrai. Ou non. Je sais que les phrases, je vais les modeler, de toute façon. Même si c’est un jour où le texte me semblera moins bon. Il y a des jours comme ceux-là.
Ecrire, à présent, sans réfléchir. Ecrire les sensations. Ecrire la matière brute. Ecrire sans retravailler. Ecrire juste pour faire émerger. Le nécessaire.
Hier.
Sentir. Se sentir. Les pieds dans le sol, le corps présent. La sensation n’est pas forcément agréable. Se sentir en contact avec l’air que je respire. Me sentir au contact de l’air que je respire. Faire partie d’un tout.
Respire.
Le voile ôté, les contours perceptibles. Les contours de mon corps que n’importe quel passant perçoit dès qu’il m’aperçoit, me sont perceptibles.
Je sais que j’existe.
Respire.
Angoisse. Exposée. Vulnérable.
A la merci de cet autre que je sens si proche de moi ? Comme autrefois ? C’était avant que je me protège et m’enveloppe d’un voile qui m’isole en même temps qu’il me sauve.
Comme autrefois ? Ne vais-je pas m’effondrer ? Non. Les contours de mon corps sont perceptibles et solides. Puissants et ancrés. Il se peut qu’une fissure les ébranle. Invincibles, ils ne sont guère. Et moi, suis-je encore en guerre ?
Il se peut qu’une fissure m’ébranle à nouveau. Il se peut que je me sente pétrie d’imperfections, que chaque pas soit une avancée et qu’il y en ait deux ou trois, voire plus, qui soient inexacts, approximatifs. Des erreurs. Que l’erreur n’aille pas triturer la faille, l’ouvrir, exploiter ses tourments. Que l’erreur fasse grandir et fructifier le mouvement.
Grandis.
Respire.
Amplifie.
Il se peut que je sente encore la chair vivante de mon corps. L’aimer ? En cours.
Et que ce sentiment si fort, celui que l’on dit « d’abandon », celui qui sournoisement s’est ancré, s’en aille loin, emporté par le vent, car si je sens mes contours perceptibles, comment pourrais-je encore me vivre abandonnée ? Non, plus jamais, car je suis là, maintenant. Et si le prix à cela, c’est sentir la chair de mon corps, alors, je m’y abandonne, car je n’ai pas le choix. Vivant, ce corps. Je suis entourée de gens. Aux corps vivants, ou plus ou moins, je ne sais pas. Des mouvements, des bruits, des pulsations.
Respire. Ne plus relire. Joie.
A suivre.